Jeux fantaisistes — aide ou obstacle à l’imagination ?
Traduit de l’anglais par Laurence Ouellet. Original :
https://www.montessoriwales.com/post/fantasy-play-help-or-hindrance-to-imagination
Maria Montessori
« L’imagination ne devient grande qu’une fois que les êtres humains, doués de courage et de force, l’utilisent pour créer. »
Pourquoi Montessori recommande-t-elle que les enfants ne soient pas initiés à la fantaisie avant l’âge de six ans ? Le jeu fantaisiste n’est-il pas important pour le développement de la créativité et de l’imagination ?
Plusieurs programmes en petite enfance encouragent ce type d’activités. Dans presque toutes les boutiques de jouets, vous trouverez une grande variété d’articles qui amènent les enfants à participer à des jeux fantastiques avant l’âge de six ans. En tant que parents et éducateurs, devrions-nous suivre cette tendance qu’elle soit inoffensive, amusante ou même bénéfique ? Ou est-il possible que ce genre de jeu fasse obstacle à la croissance et au développement de nos enfants ?
Les éducateurs conviennent que la pensée imaginative et créative fait partie des compétences essentielles dont nos enfants auront besoin pour leur avenir, pour leur vie quotidienne ainsi que pour les méthodes de travail constamment en évolution à notre époque. Les enfants qui débutent dans le système d’éducation à l’âge de cinq ans aujourd’hui entreront sur le marché du travail en 2035. Nous ne savons pas à quoi ressemblera leur milieu de travail, mais nous pouvons être assurés que la pensée imaginative et créative sera une compétence essentielle pour rendre leurs connaissances transférables. Alors, comment pouvons-nous encourager et développer ces compétences ? Le jeu fantaisiste est-il un pas vers la bonne ou la mauvaise direction ?
Le dictionnaire Oxford définit l’imagination comme étant « la capacité à créer des images dans votre esprit ; quelque chose que vous avez imaginé plutôt que quelque chose qui existe ; la capacité d’avoir des idées nouvelles et passionnantes ». La créativité se définit comme étant « l’utilisation de l’imagination ou d’idées originales pour créer quelque chose ».
L’imagination peut être divisée en imagination reproductrice et en imagination créatrice. Dans l’imagination reproductrice, le jeune enfant (de 0 à 6 ans) imagine dans son esprit quelque chose qu’il a déjà vu et vécu. C’est un stade sensoriel de l’imaginaire qui se développe à partir des impressions qu’il a reçues de ses sens. Par exemple, il voit un château puis en construit un autre avec des oreillers ; il utilise un balai comme si c’était un cheval ou il prétend être son enseignant en imitant ses manières. On pourrait dire qu’il donne sens à son monde grâce à son imagination reproductrice.
Ce type de jeux est une manière importante pour eux de traiter le monde qui les entoure, alors de quoi l’enfant a-t-il besoin pour favoriser ce type d’imagination ? Des expériences, des expériences réelles et beaucoup d’expériences ! Mais autrement, l’enfant n’a besoin de rien. Une branche d’arbre peut devenir une épée, un avion, un cheval. Les possibilités sont infinies. L’enfant n’a pas besoin d’articles de jeu de rôle coûteux, de nourriture en bois coûteuse, etc.
Pour développer une forte imagination reproductrice, nous pouvons affirmer que moins il y en a, mieux c’est, car cela signifie moins de limites à l’imagination et plus de jeu libre. Les enfants prennent particulièrement part à ces jeux à l’extérieur et à la maison. Ils entreprennent naturellement des jeux de rôles ; nous n’avons pas à leur donner de rôles. Nous devons simplement laisser les enfants jouer au lieu de les diriger.
Il est important pour les éducateurs Montessori de noter toutefois que Maria Montessori n’a pas autorisé les enfants à utiliser de cette façon les matériels de la classe telle que la tour rose. Les matériels Montessori sont des outils pratiques qui enseignent aux enfants d’autres compétences. Un enfant est libre de dessiner sur du papier, mais pas sur un livre ni sur le mur, de même qu’un enfant est libre d’utiliser son imagination reproductrice avec des objets appropriés, sans toutefois utiliser à mauvais escient les matériels de classe qui sont plutôt manipulés avec respect.
L’imagination créatrice fait suite à l’imagination reproductrice environ à partir de l’âge de six ans. À ce moment, l’imagination « explose » et l’enfant commence à créer des choses qui n’existent pas (non vécues) à partir d’éléments préexistants de ses expériences passées. Par exemple, lorsqu’un enfant est informé de la formation de l’Univers, il peut se l’imaginer dans son esprit malgré le fait qu’il ne l’ait jamais vécu. Il y arrive en imaginant l’obscurité de même que les sons, la lumière, le mouvement, les étoiles qu’il a vues, etc. Il rassemble alors une gamme d’expériences réelles qu’il a vécues entre zéro et six ans pour lui permettre de créer une nouvelle image et un nouveau concept dans son esprit.
C’est donc maintenant évident que l’enfant doit avoir eu amplement d’expériences réelles et concrètes dans sa période d’autoconstruction, de 0 à 6 ans, lors de laquelle se sont établies les connexions synaptiques. Maria Montessori a décrit comment un non-voyant de naissance décrira souvent comment il a imaginé la vision en termes de sons. Par exemple, il imagine le rouge pour la trompette et le bleu comme étant le son du violon. Ils peuvent créer avec leur imagination seulement à partir d’expériences réelles qu’ils ont vécues.
La fantaisie et le fantastique sont une confusion pour l’enfant âgé de zéro à six ans. Nous savons que cet enfant a un esprit « absorbant ». Il utilise ses sens pour absorber toute l’information autour de lui. La neuroscience a établi que les expériences vécues par un enfant dans son environnement déterminent les connexions qui sont établies dans son cerveau. Plus les expériences sont riches et multiples, plus les connexions établies sont nombreuses. Dans notre cerveau, nous avons des synapses qui relient les neurones ensemble et qui permettent aux signaux de voyager. Dans les deux à trois premières années de vie, un grand nombre de ces connexions sont établies. Ce processus, appelé synaptogenèse, aide l’enfant à s’adapter à son époque et à son environnement.
Les synapses formées peuvent être soit renforcées ou affaiblies selon leur fréquence d’utilisation. Celles qui sont peu utilisées subissent l’élagage, un processus durant lequel le cerveau élimine les synapses sans importance. Les connexions cérébrales non établies ni renforcées dans les premières années de vie ne se développeront pas et disparaitront. La petite enfance est la période clé pour le développement du cerveau et l’établissement de synapses qui demeureront avec nous tout au long de notre vie.
Alors pourquoi la fantaisie est-elle une confusion ? Si je regarde Spider-Man à la télévision, j’expérimente son existence de façon sensorielle, mais on me dit qu’il n’est pas réel. Ainsi, si je n’ai pas eu beaucoup d’expériences avec des araignées, mais davantage avec Spider-Man, quelles connexions synaptiques seront renforcées ? Serai-je en mesure d’utiliser cette expérience fantaisiste pour me développer plus tard ? C’est une expérience irréelle et basée sur de fausses informations. Les caractéristiques de la toile sont fausses, les mouvements de l’homme sont impossibles.
Nos enfants ont une chance unique de « construire » leur cerveau. Le développement cérébral est déjà très avancé à l’âge de trois ans chez la plupart d’entre eux et à l’âge de six ans chez la grande majorité. Si toutes les connexions d’informations sont basées sur de fausses informations, comment cela va-t-il intellectuellement être utile quand il devra utiliser une véritable imagination créatrice pour résoudre des problèmes et sortir des sentiers battus ?
La question que nous devrions peut-être tous nous poser n’est pas si la fantaisie et la télévision causent préjudices, mais plutôt quels en sont les avantages. Que pouvons-nous donner de mieux à nos enfants dans cette période la plus cruciale de leur vie ? La réalité est que nos enfants, comme plusieurs d’entre nous le savent, préfèrent la boîte au jouet qu’elle contient. Les enfants n’ont pas véritablement besoin de tous les articles publicisés auprès de leurs parents, et ce, malgré l’incitation massive des entreprises à nous dire le contraire.
J’ai vu des enfants dans une communauté enfantine (nom des milieux Montessori de jeunes marcheurs – avant 3 ans) à qui étaient présentés des animaux de la ferme et qui tenaient le cochon en s’exclamant « Peppa ». Le visuel de cet animal est, au niveau de leurs connexions synaptiques, davantage lié au dessin animé de Peppa Pig qu’à une expérience à la ferme. Ces enfants engagés dans la fantaisie ont souvent du mal à se connecter à la réalité et au « travail »[1]. Ils vivent dans un monde imaginaire alimenté par la société et, plus tard, nous réprimandons l’enfant de ne pas être un penseur créatif capable de se concentrer et de résoudre des problèmes.
Nous savons que la créativité est « l’utilisation de l’imagination ou d’idées originales pour créer quelque chose. » Les idées originales requièrent de l’intelligence et l’intelligence est développée sur la base des expériences riches vécues par l’enfant dans son environnement. L’imagination est basée sur les expériences vécues dans la période de 0 à 6 ans.
Pour développer un
esprit créatif et imaginatif fort, l’enfant a besoin d’expériences riches et
réelles au début de sa vie. Si nous pouvons leur offrir cela, nous retrouverons
à l’école primaire des enfants qui sont non seulement capables de rédiger les
travaux les plus descriptifs et de dessiner les images les plus incroyables,
mais qui peuvent également créer des solutions pour des problèmes que nous
n’avons pas encore imaginés.
[1] Maria Montessori utilise le mot « travail » pour décrire les activités ou jeux que l’enfant exécute avec intérêt et concentration et qui soutiennent son développement.
merci de rappeler tous ces fondamentaux de la construction d-un être humain solide ouvert au monde réel et aux relations avec ses semblables .c’est une richesse pour tous les humains.